Bénin: le numérique, nouvel espace de survie pour les survivantes de violence basée sur le genre
Au Bénin, les survivantes de violences basées sur le genre (VBG) s’appuient sur le numérique pour retrouver confiance et se reconstruire. À travers les espaces numériques, elles brisent l’isolement, sensibilisent et recherchent justice. Réseaux sociaux, communautés en ligne, plateformes de dénonciation et système numérique d’assistance de l’État deviennent aujourd’hui de véritables alliés dans leur combat.
Pour de nombreuses survivantes de violences basées sur le genre (VBG) au Bénin, le numérique est devenu un véritable refuge. Valdy Gbaguidi, activiste web et féministe, en témoigne. Victime de harcèlement en ligne et dans la vie réelle à cause de son physique, elle a trouvé dans les réseaux sociaux un espace de guérison et de solidarité. « J’ai pu connecter avec des femmes comme moi, des femmes victimes elles aussi. Plus je parlais, plus j’aidais d’autres femmes et plus je me sentais moins seule », confie-t-elle. Aujourd’hui, Valdy est suivie par une communauté bienveillante majoritairement féminine qui la considère comme un modèle. « C’est un honneur pour moi. Tout cela m’a ouvert beaucoup de portes », souligne-t-elle avec fierté.
Mais cette résilience numérique n’est pas sans zones d’ombre. Angela Kpeidja, journaliste et survivante de VBG, alerte sur la brutalité du cyberespace béninois. « Dans notre contexte, il est rare que la victime soit protégée. Au contraire, les commentaires violents et les discours dévalorisants l’enfoncent davantage. La santé mentale des survivantes est souvent ignorée », déplore-t-elle.
C’est sur sa page Facebook, le 1er mai 2020, qu’Angela Kpeidja a publiquement brisé le silence. « J’ai failli… Non je l’ai fait mais je reviens encore plus forte… Ça m’a rongé toute la journée puis j’ai décidé de mettre les pieds dans le plat. Tant pis… Une fête disent-ils de travail, alors même que le travail, dans mon milieu est totalement décousu. Le harcèlement sexuel en milieu de travail, même à mon âge a encore droit de cité avec des humiliations de tout genre y compris la baisse de l’estime de soi. Et ça, du plus haut vers les petits chefs de bas étage que sont les rédacteurs en chef et sous-chefs. Et dire qu’il y a des femmes parmi nous qui se laissent faire. Viol, harcèlement moral et sexuel… j’en ai marre. Dites-moi comment on célèbre le 1er mai dans une maison où la religion de tous est devenue le silence dans la frustration ? »
Cette publication a marqué un tournant dans la dénonciation des violences en milieu professionnel au Bénin. Aujourd’hui engagée dans un combat judiciaire, Angela regrette que les journalistes eux-mêmes n’adoptent pas toujours une posture éthique. « Ils exposent les victimes sans mesure et n’interrogent pas les bons experts. Ils cèdent trop souvent à la recherche du buzz », critique-t-elle, plaidant pour un traitement médiatique plus juste et une charte spécifique pour les VBG dans les médias en ligne.
Le double visage du numérique
Loin d’être un espace totalement sécurisé, l’internet peut devenir un terrain miné pour les survivantes. Dr Gilles Arsène Aïzan, psychologue clinicien, reconnaît l’impact positif du numérique dans la mobilisation contre les VBG. « Lutter contre les VBG sur la toile permet d’aller plus vite et plus loin », explique-t-il. Mais il met en garde contre une approche naïve. « La toile n’est pas un espace de soin. Les violences faites aux femmes touchent à leur intimité. Or, sur internet, tout est déballé sans filtre. Les commentaires intrusifs et les débats mal encadrés aggravent la souffrance des victimes », souligne-t-il.
Pour le spécialiste, la lutte numérique contre les VBG doit être accompagnée de règles claires. « Il faut créer des espaces crédibles et de confiance. Une mauvaise campagne en ligne peut anéantir des années d’efforts », insiste-t-il. Ce point de vue est partagé par Ariane Adjolohoun, directrice départementale des Affaires sociales et de la Microfinance du Zou. Selon elle, si les initiatives numériques sont utiles, elles doivent être systématiquement reliées aux services d’accompagnement psycho-social. « L’internet ne peut résoudre à lui seul les préjudices. Les victimes doivent être orientées vers les structures spécialisées », précise-t-elle.
Ariane Adjolohoun souligne par ailleurs que la violence numérique peut déborder dans la réalité physique. « On identifie des victimes sur la toile, on les traque et parfois on les agresse dans la vraie vie », avertit-elle, rappelant que la communication en ligne peut parfois manquer d’empathie et d’humanité.
Des efforts institutionnels pour structurer la lutte
Conscient des dérives possibles mais aussi des opportunités offertes par le numérique, le ministère des Affaires sociales et de la Microfinance (MASM) a intégré des solutions technologiques dans la lutte contre les VBG. Anice Gambari Adam, cheffe du département de la Promotion de la Femme et du Genre. au ministère des affaires sociales met en avant des outils concrets. « Nous avons renforcé le système intégré de données sur la famille, la femme et l’enfant (SIDOFFE) avec 120 indicateurs spécifiques aux VBG. Nous disposons aussi d’un portail officiel qui centralise les contacts utiles et les rapports », détaille-t-elle. Le numéro vert 138 permet également aux survivantes d’obtenir rapidement une écoute et une orientation en toute confidentialité.
Selon la responsable, les actions numériques de l’État ne se limitent pas à la sensibilisation. « Les plateformes en ligne permettent d’envoyer des signaux de détresse en temps réel. Les données collectées aident à identifier les zones à risque et à ajuster les interventions. ».
L’État béninois prévoit d’ailleurs de renforcer cette approche avec des campagnes en langues nationales diffusées sur des supports numériques et audiovisuels pour toucher un public encore plus large. En parallèle, le Code du numérique au Bénin prévoit des sanctions contre le cyberharcèlement, preuve que la question est désormais prise au sérieux.
Face à la montée des VBG dans le cyberespace, la vigilance reste de mise. Le numérique offre des voies de reconstruction et de mobilisation, mais il peut aussi devenir un nouvel espace de violence si les actions ne sont pas bien encadrées. C’est un outil puissant, à manier avec précaution.