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Au Bénin, il est interdit de tomber malade en prison (Enquête)

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Paludisme, dermatose, troubles digestifs, insomnie…Au Bénin, la surpopulation carcérale et les conditions de détention pas encore conformes aux règles Nelson Mandela, selon la Commission béninoise des droits de l’Homme, sont à l’origine de nombreuses maladies dans les prisons. Mais « le système de soins de santé dans les centres de détention continue de présenter des insuffisances ».

Gbêto a la trentaine. Arrêté dans le cadre des violences ayant marqué la présidentielle 2021, il séjourne depuis dans l’une des prisons civiles du Bénin en attendant son procès. En septembre 2021, il a été souffrant. « Il souffre d’une indigestion alimentaire et d’une maladie de la peau », confie Hamed, un de ses proches lors d’un entretien fin octobre 2021, juste après une visite à Gbêto.

Gbêto n’est pas le seul détenu dont la santé s’est dégradée pendant le séjour carcéral. « La prison est remplie de malades (personnes souffrantes, ndlr) », confie Joseph, un ancien pensionnaire de la prison civile de Cotonou. Selon des informations recueillis auprès de personnes dans le système de prise en charge sanitaire des détenus, plusieurs dizaines de détenus vont en consultation médicale par mois dans les maisons d’arrêt et prisons civiles. Dans l’une des prisons civiles du Bénin, un nombre moyen de quatre cent (400) consultations mensuelles est avancé.

Les raisons pour lesquelles les détenus se font consulter sont nombreuses et diverses. Selon de nombreux acteurs intervenant dans les lieux de détention, les maladies récurrentes dans les maisons d’arrêt et prisons civiles du Bénin sont l’indigestion alimentaire, les dermatoses, l’insomnie, le paludisme, les pathologies respiratoires.

« Les pathologies récurrentes en milieu carcéral sont à peu près les mêmes qu’on retrouve dans la population générale », explique Dr Aliou Djialiri, directeur exécutif de ”Bénin Excellence”. Organisation non gouvernementale, ”Bénin Excellence” s’investit dans la prise en charge sanitaire des détenus depuis trois années. Grâce à un partenariat avec l’Agence pénitentiaire du Bénin, elle envoie des médecins prestataires dans les maisons d’arrêt et prisons civiles.

Surpopulation carcérale, « le plus gros problème »

Ces maladies, a confié un agent de santé d’une prison civile, sont dues à « l’hygiène et à la qualité de ce qu’ils (les détenus, ndlr) mangent ». « Les locaux de détention ne sont pas pour la plupart respectueux des normes d’hygiène, notamment en ce qui concerne le volume d’air, la surface minima au sol, l’éclairage et la ventilation », déplore la Commission béninoise des droits de l’Homme (Cbdh) dans son rapport sur l’état des droits de l’Homme au Bénin 2020-2021. Selon la Cbdh, cela « entraine l’étouffement et la suffocation nocturne ».

La Commission regrette également l’absence de lumière artificielle pour permettre aux détenus de lire sans altérer leur vue. Le changement d’habitude alimentaire expliquerait également certaines maladies. La promiscuité, la chaleur parfois, et quelquefois l’insalubrité dans les maisons d’arrêt et prisons civiles sont aussi des causes de maladies, notamment les affections de la peau, aux dires de Dr Aliou Djialiri, directeur exécutif de ”Bénin Excellence”.

Eric, un détenu de la prison civile de Missérété, accuse la surpopulation carcérale d’être la principale source de maladie. « C’est le plus gros problème », confie-t-il expliquant que les difficiles conditions de détention sont pour la plupart la conséquence de la surpopulation carcérale. Selon des statistiques de la Cbdh qui a sillonné les onze (11) prisons et maisons d’arrêt, la population carcérale à la date du 12 juillet 2021 est de treize mille neuf (13 009) détenus.

Ce chiffre, souligne le rapport de la Cbdh, est en hausse par rapport aux statistiques de novembre 2019. A la date du 27 novembre 2019, le nombre de détenus dans l’ensemble des prisons et maisons d’arrêt était de neuf mille six cent quatre-vingt-sept (9 687).

Les Règles Nelson Mandela ”pas respectées”

Retirés de la société pour purger une peine pour avoir violé les normes sociétales, les détenus sont, tout de même, des personnes à part entière qui ont droit à la santé, l’alimentation, entre autres, fait savoir Dr Djialiri.

« La situation de privation de liberté ne peut être une cause de déni du droit de bénéficier des soins médicaux en termes de prévention de maladies ou d’accessibilité à des soins curatifs sans oublier l’accessibilité à des traitements spécifiques adaptés aux cultures médicamenteuses de la personne », soutient l’ONG Changement Social Bénin dans un rapport.

Intitulé « Les droits de la personne humaine dans le milieu carcéral au Bénin », ce rapport a été publié en 2019. Selon l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, aussi appelé « Règles Nelson Mandela », « l’État a la responsabilité d’assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique ».

La règle 24 renseigne que « les services de santé devraient être organisés en relation étroite avec l’administration générale de la santé publique et de manière à faciliter la continuité du traitement et des soins, notamment pour le VIH, la tuberculose et d’autres maladies infectieuses, ainsi que pour la toxicomanie ».

La Règle 25 dispose que : « chaque prison doit disposer d’un service médical chargé d’évaluer, de promouvoir, de protéger et d’améliorer la santé physique et mentale des détenus, une attention particulière étant accordée à ceux qui ont des besoins spéciaux ou des problèmes de santé qui constituent un obstacle à leur réinsertion ».

Ce service, suivant la Règle 25, doit être doté d’un personnel interdisciplinaire comprenant un nombre suffisant de personnes qualifiées agissant en pleine indépendance clinique, et disposer de compétences suffisantes en psychologie et en psychiatrie. Tout détenu doit pouvoir bénéficier des soins d’un dentiste ayant les qualifications requises. Suivant les dispositions de la Règle 27, « tous les établissements pénitentiaires doivent garantir l’accès rapide aux soins médicaux en cas d’urgence. Les détenus qui requièrent des traitements spécialisés ou soins chirurgicaux doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils ».

Dans les lieux de détention au Bénin, la réalité est loin de ces normes. « Avec la création de l’Agence pénitentiaire du Bénin (en 2018, ndlr), les choses sont devenues plus structurées, plus systématisées et le suivi est devenu plus rigoureux. L’Agence a renforcé le plateau technique et les ressources humaines au niveau des infirmeries. L’Agence a aussi considérablement augmenté la dotation en médicaments génériques dans les prisons. Mais tout cela reste insuffisant par rapport aux normes », souligne Dr Djialiri. Dans son rapport sur l’état des droits de l’Homme sur la période 2020-2021, la Cbdh n’en dit pas moins. « Les conditions minima qui sont jugées acceptables par les Nations Unies et énumérées dans les Règles Nelson Mandela, ne sont pas respectées dans la plupart de nos maisons d’arrêt et prisons », juge la Commission.

Diagnostic difficile

La première difficulté dans la prise en charge sanitaire des détenus est le diagnostic. Les infirmeries ne sont pas équipées de sorte à diagnostiquer de façon précise ce dont souffre un détenu.
« Généralement quand on souffre, on parle de palu parce qu’il n’y a pas un diagnostic clair », fait savoir Joseph, l’ancien détenu de la maison d’arrêt de Cotonou.

Un connaisseur du système de prise en charge sanitaire dans les prisons corrobore : « si un détenu se rend à l’infirmerie en se plaignant de problème cardiaque, il sera difficile à l’infirmier ou au médecin de faire un diagnostic ». Il évoque un problème de plateau technique. « Les infirmeries dans les prisons ne sont pas faites pour prendre en charge les maladies nécessitant la consultation d’un spécialiste », balaie une autorité. Le système sanitaire des prisons civiles et maisons d’arrêt au Bénin, explique l’autorité, est fait de sorte que les infirmeries ne prennent en charge que les affections ne nécessitant pas une grande expertise. Pour les maladies qui nécessitent la consultation d’un spécialiste, poursuit-elle, le détenu est référé vers les hôpitaux de zone et centres hospitaliers où il est examiné par le spécialiste.

Si de nombreux prisonniers ont été référés dans des hôpitaux pour rencontrer des spécialistes, et d’autres évacués à l’étranger pour être pris en charge, ces mouvements ne sont pas souvent facilement autorisés. Cela, en raison des craintes des autorités pénitentiaires et sanitaires d’être accusées de complicité en cas d’évasion de détenu. « La carie dentaire, c’est une maladie assez grave pour un médecin généraliste pour nécessiter une référence. Le médecin se dit ça peut se compliquer et se propager en méningite et donner la mort. Mais la carie, ce n’est pas une maladie grave pour un gardien de prison, parce que quand il regarde le détenu, il ne le voit pas malade. Il se dit que le détenu a toutes ses capacités et le risque d’évasion est élevé. Il ne va pas faciliter la référence », explique Dr Aliou Djialiri.

Et des cas d’évasion de détenus dans ces conditions existent. En 2021, deux pensionnaires de la prison civile d’Abomey-Calavi ont pris la clé des champs sur le chemin de l’hôpital avant d’être rattrapés, le deuxième plusieurs mois après. Dr Aliou Djialiri évoque un autre problème relatif à l’hygiène corporelle du détenu lors des références. Le directeur exécutif de l’ONG ”Bénin Excellence” explique que pour diverses raisons, le détenu référé dans un hôpital est « délaissé à lui-même » en matière d’entretien corporel.
Les médicaments, un « parcours du combattant »

L’autre anicroche dans la prise en charge du détenu malade, c’est l’indisponibilité des médicaments. Les médicaments pour le traitement de plusieurs maladies sont indisponibles dans les prisons. « Seuls les médicaments pour le traitement du paludisme sont souvent administrés », à en croire l’ONG Changement Social Bénin dans son rapport. Plusieurs détenus interrogés à la prison civile d’Abomey-Calavi par l’organisation non gouvernementale dirigée par Ralmeg Gandaho ont confié que « l’infirmerie n’existe que pour prescrire des ordonnances ».

Tombé malade pendant son séjour carcéral, un « palu » à ses dires, Joseph apprend qu’après les premiers soins à la clinique de la maison d’arrêt, une ordonnance lui a été prescrite. Les médicaments prescrits ont été achetés par sa « famille », confie-t-il s’estimant très chanceux. Chanceux, Gbêto l’a été aussi. Pour le traitement de son indigestion alimentaire et de sa maladie de peau, les médicaments ont été acquis par sa famille aux dires de sa sœur Léonie. Eric, pensionnaire de la prison civile de Missérété affirme, lui, avoir été « normalement » pris en charge par le système de la prison quand il a souffert d’une dépression.
« Lorsque ton traitement exige une particularité, c’est à dire des produits qui ne se trouvent pas dans leur stock, c’est normal que l’on te prescrive ça », estime d’ailleurs le détenu qui se projette déjà dans sa nouvelle vie, une fois la liberté recouvrée.

L’achat des médicaments, fait savoir l’Ong Changement Social Bénin, est un « parcours du combattant » pour les détenus n’ayant pas de visite et de soutien financier. C’est souvent grâce à la solidarité entre détenus que cette catégorie de prisonniers arrive à avoir des médicaments. Joseph explique que quand un détenu démuni a besoin de médicaments inexistant à l’infirmerie ou dans des cas d’urgence, une collecte de fonds est lancée au sein de la prison. L’ancien prisonnier se souvient avoir participé, pendant la durée de sa détention, à au moins deux collectes pour aider à payer les médicaments de détenus. Outre les collectes de fonds au sein de la prison, des personnes de bonne volonté et des organisations non gouvernementales volent aussi au secours des détenus en matière de prise en charge sanitaire.

Des réformes projetées

Pour une meilleure prise en charge sanitaire des détenus, les propositions ne manquent pas. Dans son rapport sur « Les droits de la personne humaine dans le milieu carcéral au Bénin », l’Ong Changement social Bénin fait plusieurs propositions. Entre autres, l’institution d’une direction spécifique au niveau du ministère en charge de la santé pour la gestion du système sanitaire dans les milieux carcéraux. Cela, conformément à la règle 22 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus selon laquelle « les services médicaux devraient être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la communauté ou de la nation… ».

La Commission béninoise des droits de l’Homme, dans son rapport, recommande la construction de nouveaux pénitenciers pour réduire un tant soit peu la surpopulation carcérale. Dr Aliou Djialiri pense que l’Etat béninois gagnerait à trouver des alternatives à la détention, notamment pour les personnes coupables de larcins. Face à la réticence des agents pénitentiaires à autoriser la référence, il serait bien de réfléchir, juge Dr Aliou Djialiri, à la prise en charge de certaines maladies au sein même des prisons. Le directeur exécutif de l’Ong ”Bénin Excellence” estime qu’il serait également judicieux d’avoir un pavillon pénitentiaire dans les hôpitaux. Le bien-être sanitaire étant lié au bien-être alimentaire, Dr Aliou Djialiri propose aussi que l’Etat crée des fermes pénitentiaires. Cela, argumente-t-il, peut réduire les dépenses de l’Etat consacrées à l’alimentation des détenus et favoriser une bonne nutrition.

Contacté aux fins d’obtenir sa réaction sur les difficultés dans la prise en charge sanitaire des détenus, le directeur général de l’Agence pénitentiaire du Bénin nous a envoyé vers le ministère de la Justice. « L’Agence est financièrement autonome mais elle est sous la tutelle du ministère de la justice. Je vous parlerai volontiers si le ministre m’autorise à le faire », s’est exprimé le directeur général de l’Agence pénitentiaire après avoir entendu toutes nos préoccupations. Une demande d’entretien, en date du 4 décembre 2021, adressée au ministre de la justice est restée, deux mois après, lettre morte.

Mais le gouvernement, a confié un homme du sérail de l’exécutif béninois en décembre 2021, est conscient des difficultés et pose des actes. Depuis 2020, apprend-il, des dispositions sont prises pour infléchir la courbe en ce qui concerne la surpopulation carcérale. Dans ce sens, indique-t-il, des libérations conditionnelles sont faites chaque trimestre. Il évoque également la grâce présidentielle accordée à la veille la fête nationale par le président de la République. Dans son programme d’actions 2021-2026 dévoilé début janvier 2022, le gouvernement béninois a annoncé la « réforme du système pénitentiaire et des conditions de vie des prisonniers ».

La modernisation du système pénitentiaire, la construction et l’équipement de cinq (05) établissements pénitentiaires et des centres de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence sont inscrits dans la liste des réformes envisagées par le président Patrice Talon et son gouvernement. Un fin connaisseur de l’appareil judiciaire et du système pénitentiaire a fait savoir que la création d’un corps spécialisé de la sécurité des prisons et maisons d’arrêt et la construction d’un hôpital pénitentiaire sont projetées. Mais aucune échéance n’a été donné pour la matérialisation de ces projets pour le moment. En attendant, la prise en charge sanitaire des détenus demeure une préoccupation.

NB: Cet article est réalisé dans le cadre du projet “Enquêtes sur les droits sociaux au Bénin en 2021: cas de l’eau et la santé”, qui bénéficie de l’appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES) au Bénin et piloté par Banouto, dans un partenariat avec Matin Libre, La Météo, Daabaaru et ODD TV.

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