Présidentielle : entre Jair Bolsonaro et Luiz Inacio Lula da Silva, pour qui roule la finance brésilienne ?
Au lendemain du premier tour de la présidentielle au Brésil, la Bourse de Sao Paulo a pris 5,54 %. Les marchés financiers, confortés par les scores inattendus de Jair Bolsonaro, président-candidat à la politique économique ultra-libérale, auraient-ils choisi leur candidat ? Rien n’est moins sûr. L’écart plus serré que prévu pourrait au contraire rassurer les marchés et contraindre le candidat de la gauche Luiz Inacio Lula da Silva à modérer son programme économique.
Vingt-quatre heures à peine après les résultats du premier tour, la “B3”, la Bourse de Sao Paulo s’est envolée, le 3 octobre 2022, réalisant sa plus haute valorisation depuis le 6 avril 2020. Avec seulement 5 petits points de retard sur son rival de gauche Lula, certains spécialistes du secteur murmuraient dans les couloirs de la rue du XV novembre, où se trouve la Bourse de la capitale économique, que Jair Bolsonaro pouvait changer la donne et gagner.
“Il aurait enfin la majorité nécessaire pour réaliser des réformes plus concrètes et bien meilleures pour l’économie du pays”, assure Antoine Skaf, directeur du fonds d’investissement Witpar. Aux élections législatives, le camp de Jair Bolsonaro a remporté une majorité des sièges.
En 2018, ce jeune financier de Sao Paulo avait voté “en opposition à la gauche”. Aujourd’hui, c’est un vote de confiance qu’il donnera au président. “Malgré les idioties qu’il sort de temps en temps, il a prouvé qu’il savait mener sa barque. Paulo Guedes est le meilleur ministre de l’Économie qu’on ait jamais eu et il a eu de très bons résultats.”
Bolsonaro, l’ultra-libéral
Et pour Antoine Skaf, la liste de ses succès est longue : la difficile réforme des retraites mise en place et qui, selon lui, va transformer l’économie brésilienne pour les 20 prochaines années, la politique de privatisation de nombreuses entreprises et branches du secteur public, la gestion plus souple de Petrobras, qui a permis au géant pétrolier national de débloquer pour la première fois des dividendes… Un signe positif pour le marché et Antoine Skaf s’en frotte les mains. Son fonds a largement bénéficié du record d’investissements étrangers enregistré ces dernières années.
Pour autant, le discours de Jair Bolsonaro menaçant régulièrement les institutions démocratiques du pays n’effraie-t-il pas les marchés financiers si friands de stabilité ? “Non, car il menace, mais ne fait pas. Ses actions sont beaucoup plus modérées que ses paroles, ce qui rassure dans la pratique. Sa politique ultra-libérale est un gage pour nous”, assure Antoine Skaf.
Mêmes chiffres mais autre son de cloche pour l’économiste André Calixtre. “Si vous regardez les fonds de pension européens, les fonds verts, plus structurés que les placements à courts termes, ils ont beaucoup diminué. Dire que les investissements ont atteint des records sous Bolsonaro est faux. Peut-être à court terme oui, ce qui a permis aux traders de se faire de l’argent rapidement, mais c’est un succès très volatile, qui n’est pas une preuve de stabilité du marché brésilien sur le long terme.”
Co-fondateur de la “bolsa familia”, allocation sociale créée par le premier gouvernement Lula en 2004 et destinée aux foyers les plus pauvres pour encourager leur consommation, André Calixtre est très critique du bilan Bolsonaro. Lorsque la pandémie de Covid-19 a frappé le pays et accentué la crise économique mondiale, il reproche à Jair Bolsonaro d’avoir copié Lula avec son “Auxilio Brasil”. Vingt millions de Brésiliens ont eu droit à cette aide similaire d’environ 100 euros mais qui, contrairement à son ancêtre de gauche, ne donnait pas droit à un accompagnement social, scolaire et sanitaire.
“Il a voulu se donner des allures de nouveau père des pauvres en distribuant une aide unique par foyer, mais en réalité, il l’a distribuée beaucoup trop tard et mal, sans revalorisation des salaires, sans vraie politique de lutte contre l’inflation”. Aujourd’hui, selon lui, “la perception de misère et de faim est beaucoup plus grande”.
Claudio Amitrano, de l’Institut de recherche économique, a passé ces quatre dernières années à analyser la gestion économique du président sortant, et le bilan n’est pas davantage des plus dithyrambiques : “Jair Bolsonaro aurait pu prendre des mesures économiques plus rapides pour diminuer l’impact de la pandémie. Il a trop tardé. Il aurait dû réduire les taux d’intérêt plus rapidement, alléger plus vite la fiscalité des entreprises pour qu’elles produisent plus vite et que cela ralentisse l’inflation… Il a sous-estimé la pandémie et ça a coûté cher au Brésil.”
L’institut Strong Business School de Sao Paulo s’est appliqué à comparer les bilans économiques des deux candidats à la fin de leurs premiers mandats respectifs. Même si les contextes économiques sont bien différents – une inflation record à l’époque de Lula et une pandémie sous l’ère Bolsonaro – l’indice national des prix à la consommation enregistre une baisse de 0,29 % de l’inflation pour le troisième mois consécutif, et le taux de chômage a baissé de plus de 1 point depuis le dernier mandat de Lula, passant sous la barre des 9 %. Une victoire en demi-teinte donc pour le président sortant.
Mais Lula ferait-il mieux ? Les programmes économiques des deux candidats à la présidence sont encore flous…. Distillés au compte-goutte à la presse, ils sont noyés dans un flot de fake news. À la question “qui serait son ministre de l’économie ?”, le candidat de la gauche a botté en touche lors du dernier débat présidentiel diffusé sur la TV Band dimanche 16 octobre.
“La menace communiste”
La “menace communiste” dépeinte par l’ultra-droite n’est qu’une chimère. Lula a dans ses bagages un passé de président à la politique économique modérée qui, selon André Calixtre, rassurerait les marchés. Son élection constituerait, surtout pour lui, un rempart “régulateur” face à un congrès majoritairement à droite. Un équilibre des pouvoirs qui replacerait les négociations au centre. Et “le centre a toujours rassuré les marchés financiers et les investisseurs”, assure l’économiste.
Claudio Amitrano, lui, en rit : “On le dépeint comme un méchant gauchiste qui va ruiner le pays mais il ne faut pas oublier que le président Lula a eu une politique fiscale plutôt orthodoxe. Sous ses gouvernements, les recettes fiscales ont été supérieures aux dépenses, les investissements privés ont explosé…. Il a eu une gestion économique très conservatrice. Et ce passé là, rassure aussi”. Son pari ? Que le programme de ré-industrialisation du pays, un des fers-de-lance de Lula, plaise aux marchés.
Lula, un atout international
Sous sa présidence, de 2003 à 2011, le leader de la gauche a hissé le Brésil au rang de sixième puissance mondiale, faisant exploser les partenariats commerciaux avec l’Europe, la Chine ou encore l’Afrique. Fin diplomate, il a su vendre le Brésil et ses richesses. Alors que sous Bolsonaro, l’image du pays en a pris un coup, isolé sur la scène internationale.
“Lula pourrait redorer l’image de notre pays sur les marchés internationaux”, affirme, optimiste, André Calixtre. De fait, ces dernières semaines, de nombreux anciens présidents de la banque centrale brésilienne ont annoncé publiquement leur soutien à l’ancien président de gauche. Pour certains économistes de l’IPEA, l’institut de recherche appliquée en économie du gouvernement fédéral, qui n’ont pas le droit de s’exprimer en leurs noms en période électorale, Lula pourrait profiter de sa politique environnementale.
Car la protection de l’Amazonie et l’économie font bon marché. En annonçant augmenter le budget des organismes de protection de la forêt amazonienne, torpillés par Jair Bolsonaro, Lula attirera, selon eux, les fonds d’investissements “verts” de compensation carbone et de rémunération de la préservation de la forêt.