Présidentielle en RD Congo : quand les femmes deviennent un enjeu politique
Si les femmes sont omniprésentes sur les affiches électorales, la République démocratique du Congo est loin d’être une championne des droits des femmes sur le continent africain. Au cours de son mandat, le président Félix Tshisekedi s’est engagé en faveur d’une meilleure représentation des femmes. Pourtant, un long chemin reste à faire pour que ces efforts s’inscrivent dans la réalité du pays.
Sur la Radio télévision nationale congolaise (RTNC), les clips de campagne du président Félix Tshisekedi, dit “Fatshi béton”, se succèdent. L’un d’entre eux met en valeur l’une des mesures prises pendant son mandat entamé en 2019 : la gratuité des accouchements.
Mise en place depuis septembre 2023, la mesure entre en œuvre progressivement dans les hôpitaux publics ainsi que dans les centres de santé. À la maternité de l’hôpital général de Kinshasa, anciennement Mama Yemo, du nom de la mère de l’ancien président Mobutu, Julie a accouché il y a quelques jours d’une petite Yumi.
“C’est mon troisième enfant, il est né par césarienne. Pour les deux premiers, j’avais accouché ailleurs et j’avais payé 40 000 francs congolais [14 euros au taux actuel, NDLR], puis 65 000 [22,60 euros, NDLR] pour le deuxième. Je suis satisfaite de la gratuité de la maternité, parce que cette fois-ci, si j’avais dû avancer l’argent de la césarienne, je serais morte, vu que cette opération coûte cher [un million de francs congolais, soit 340 euros, NDLR].”
Soulager les femmes et les hôpitaux
Les médicaments contre la douleur qu’elle prend, et ceux pour traiter la fièvre de son nouveau-né, restent à sa charge. Mais son soulagement est palpable : “Avant la gratuité des accouchements, si tu ne payais pas, on te retenait à l’hôpital jusqu’à ce que tu payes la facture.”
Toujours allongée sur son lit, Pierrette Mayele Moseka, maman d’un petit Vainqueur, ne tarit pas d’éloges sur la mesure présidentielle. “C’est mon sixième enfant. D’après mon mari, quand je suis arrivée, j’étais à l’agonie. Nous venons de très loin et la prise en charge a été assurée tout de suite à l’hôpital. Nous allons tous voter pour le président Fatshi.”
Malgré ses bâtiments vétustes et ses équipements sommaires, l’hôpital “Mama Yemo” possède l’une des meilleures maternités publiques de Kinshasa. Pour les médecins, la gratuité des soins apportés aux mères et à leurs bébés représente aussi un réel soulagement.
“Cette mesure permet de libérer des lits plus rapidement. Après deux ou trois jours, les femmes peuvent rentrer à la maison s’il n’y a pas de complications. Cela nous facilite la tâche”, estime Olenga Manga, l’un des deux médecins stagiaires, qui termine sa garde.
“Souvent, des femmes refusaient la césarienne car elles n’étaient pas en mesure de payer. Avec la gratuité, la mortalité maternelle a diminué. Aujourd’hui, nous pouvons intervenir vite. On ne s’occupe plus de savoir si une femme peut payer. La mortalité infantile a baissé aussi”, ajoute-t-il en parcourant la salle des accouchées, qui attend de nouveaux locaux dans des bâtiments toujours en construction.
Une mise en œuvre progressive
Dans son bureau flambant neuf, le docteur Jean-Paul Divengi, directeur de l’hôpital, salue lui aussi la décision de Félix Tshisekedi, tout en ajoutant diplomatiquement qu'”il ne faut pas attendre que le président de la République vienne faire le travail à notre place”.
En effet, le directeur explique que la gratuité des accouchements ne se répercute pas seulement sur la maternité. “Il s’agit d’une affaire qui engage d’autres départements : la réadaptation fonctionnelle, la réanimation, l’anesthésie, la chirurgie infantile et aussi la morgue pour les situations malheureuses.”
Avec la gratuité des accouchement, c’est désormais le ministère de la Santé qui vire chaque mois sur le compte de son établissement les sommes qu’il ne perçoit plus auprès des familles. “C’est une avancée considérable pour les femmes mais aussi pour l’hôpital général. Ça fait trois ans que je suis à sa tête et quasiment aucune facture n’était payée en totalité ! Pour que ce programme se développe, les partenaires techniques et financiers doivent également emboîter le pas”, estime-t-il entre sourires et regards préoccupés.
Difficile de savoir où en est l’ambitieux programme présidentiel, entré en vigueur il y a seulement trois mois. Si plusieurs établissements de Kinshasa ont mis en place ce dispositif, peu de données sont encore disponibles à l’échelle du pays, qui compte plus de 100 millions d’habitants.
Pour l’avocate Arlette Ottia, membre du parti de l’ancien président Joseph Kabila (2001-2019), c’est “une mesure politicienne et populiste. Concrètement, vous ne croiserez presque pas de femmes qui ont accouché gratuitement. Ce ne sont que les politiques qui en parlent, en fait.”
Un “président féministe” ?
Du côté du palais présidentiel, la porte-parole de Félix Tshisekedi réfute avec force ces accusations. Tina Salama, ex-journaliste de la radio Okapi – une institution dans le pays –, affirme que “le président de la République est un fervent défenseur des droits de la femme. Sous sa présidence, le pays n’a jamais fait mieux depuis son indépendance.
“En 2019, on était à 17 % de femmes dans les administrations de l’État et dans les entreprises publiques. En 2023, on est passés à 32 %.” En l’absence du président-candidat, en tournée aux quatre coins du pays (Katanga, Kivu, Kasaï…), Tina Salama explique que “c’est la première fois qu’on voit des femmes occuper des places de décision. On a une directrice de cabinet adjointe, une première porte-parole que je suis. Et aussi une femme qui dirige la Banque centrale du Congo, une femme ministre de l’Environnement, une autre qui est ministre de la Justice.”
Dans les vastes jardins du palais de la Nation, au bord du fleuve Congo, elle ajoute que son patron est un “président féministe”. Dans ce lieu qui a vu défiler les “grands hommes” de l’histoire congolaise, de Patrice Lumumba à Laurent-Désiré Kabila, Tina Salama explique que “l’émancipation, l’autonomisation de la femme, il y croit parce qu’il pense que c’est vraiment la clé du développement social de notre pays. Sa vie a été fortement influencée par des femmes : sa mère [la femme d’Étienne Tshisekedi, un ancien Premier ministre de Mobutu, “éternel opposant” mort en 2017, NDLR], son épouse et ses quatre filles. Il dit qu’il prend beaucoup de plaisir à être entouré de toutes ces femmes.”
Un long chemin vers l’émancipation
À l’autre bout de Kinshasa, dans les locaux de l’association Jema’h qui défend les droits des femmes et leur accès à l’éducation et à l’emploi, un groupe de jeunes filles enregistre un podcast consacré aux dangers des réseaux sociaux.
Pas de climatisation dans le studio mais avec force et conviction, les jeunes panélistes débattent du harcèlement dont les femmes peuvent être la cible ou de l’influence toxique des influenceuses à la mode sur les réseaux.
Pour Tolsaint Vangu, 23 ans, il s’agit “d’influencer les femmes qui m’écoutent, qui sont ignorantes, qui ne connaissent pas leurs droits, leurs devoirs, et leur dire ce qu’elles peuvent faire de leur vie. J’aimerais les influencer pour qu’elles puissent être indépendantes.”
Ronie Kaniba, une autre participante du podcast que l’on enregistre ce matin-là, assure quant à elle que la situation des femmes s’améliore en République démocratique du Congo. “Il y a un changement. Aujourd’hui, on nous écoute et nous sommes considérées. Nous sommes en train de militer pour l’égalité de genre.”
“Des avancées significatives” que confirme Marie-Joséphine Ntshaykolo, la responsable de l’antenne du Carter Center qui a financé la création de ce studio d’enregistrement. Elle y met certes un bémol en expliquant qu’à l’échelle du Congo, la condition des femmes varie selon les provinces, ou que l’on vive en ville ou dans les campagnes.
“Les freins à l’émancipation des femmes, surtout dans le cadre des affaires publiques, sont d’abord sur le plan culturel. Au Congo, il y a généralement une domination masculine. La femme est discriminée en raison de coutumes, de normes qui ne lui sont pas favorables. Mais il y a de plus en plus de femmes candidates au niveau législatif. Au niveau du gouvernement, il y a plus de femmes”, dit-elle.
Femmes en politique
À la veille de l’élection présidentielle du 20 décembre, Ronie, qui travaille en tant que nutritionniste pour un programme de l’Unicef, se tient à distance de la politique. “Nous évitons vraiment [d’aborder des sujets politiques] parce que cela peut être dangereux. Mais il y a des choses que nous pouvons faire. Par exemple, moi, je suis observatrice [du scrutin]. Tu observes, tu notes et tu fais un rapport. Tu n’as pas besoin de le divulguer parce que ça peut être dangereux.”
Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine
Alors que la campagne entre dans sa dernière ligne droite, les élections du 20 décembre désigneront, outre le président de la République, les députés nationaux et provinciaux ainsi que les conseillers communaux.
Selon un rapport établi par ONU Femmes, 29 096 femmes sont candidates à ces postes (contre 71 273 hommes). Le nombre d’élues devrait être connu le 31 décembre, lorsque les résultats de l’élection seront proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).
En dépit des difficultés logistiques rencontrées pour l’organisation du scrutin, le résultat du vote donnera une indication sur la progression de la représentation des femmes dans la vie publique congolaise.
Si ce scrutin se déroulait dans des conditions désastreuses, et si ses résultats étaient contestés, comme en 2018, ce serait une bien mauvaise nouvelle pour les femmes comme pour la démocratie en République démocratique du Congo.
Ce reportage a été réalisé avec la participation d’Ivan Kasongo, journaliste basé à Kinshasa.