Malgré la sécheresse, faut-il culpabiliser de remplir sa piscine (ou même d’en avoir une) ?
Alors que des restrictions d’eau sont prises pour remédier à la sécheresse, « remplir sa piscine » peut interroger certains. Questionnés par « 20 Minutes », internautes et spécialistes racontent comment ils gèrent cette situation.
Besoins en eau potable pour les habitants, préservation des ressources naturelles, réserves pour combattre les incendies et menaces sur le monde agricole, avec la sécheresse qui touche de nombreux départements, les tensions autour de l’usage de l’eau sont fortes.
Alors « remplir » sa piscine en ces temps de tension peut interroger certains, d’autant plus que la France est, avec plus de trois millions de piscines privées enterrées ou hors sol fixes, le plus grand marché d’Europe de la piscine familiale. Propriétaires stigmatisés à tort par certains ou simple égoïsme et inconscience pour d’autres, 20 Minutes a demandé à ses Internautes et à des spécialistes leur avis sur cette question délicate.
« Remplir » sa piscine sous l’œil méprisant du voisinage pourrait être source à l’avenir d’histoires d’eaux torrides et sans fin. Manque de pluie, sécheresse, rareté, coût, préservation des ressources naturelles, conscience écologique, respect ou non des restrictions d’usages de l’eau ordonnées par les autorités… La question est devenue un puits sans fond. Mais alors, dans un pays qui compte plus de trois millions de piscines familiales (enterrées et hors sol fixes), est-il toujours judicieux d’utiliser une eau potable pour faire autre chose que « de la boire », comme cela a été reproché à des habitants de Gérardmer dans les Vosges qui ont vu leurs jacuzzis détruits par des inconnus ? Peut-on mobiliser autant de m3 d’eau pour un usage personnel alors que certaines communes n’en auront même plus cet été au robinet ? Questionnés par 20 Minutes, les internautes mais aussi la Fédération des professionnels de la piscine et du spa (FPP) ont mouillé le maillot pour nous livrer leurs sentiments, constats et conseils.
Et le sujet est délicat au pays de la piscine privée. La France est en effet le premier marché européen et le deuxième mondial après les Etats-Unis relève la FPP, quand est venu le printemps, période habituelle du « remplissage » ou de remise à niveau des basins, la question de la gestion de l’eau prend toute son importance. Certains renoncent carrément : « Nous voulions faire une piscine mais devant les problèmes vitaux que représentent les sécheresses, nous abandonnons notre projet, explique Jean. Il nous paraît malvenu de remplir une piscine alors que même nos agriculteurs souffrent du manque d’eau ». Comme lui, d’autres Internautes parlent de civisme, de responsabilité collective à avoir et témoignent de « projet piscines » reportés aux calendes grecques.
« Une utilisation non essentielle de l’eau » reprochée
Philippe Doutremepuich (sans étiquette), maire de Causse de la Selle et président de la Commission locale de l’eau (CLE) du fleuve Hérault en Occitanie, région particulièrement touchée par la sécheresse, se montre plus réservé. L’élu qui s’était vivement opposé au projet d’un golf à Montagnac, explique à 20 Minutes que de toute façon, force revient à la loi et que les interdictions de remplissage seront appliquées si elles étaient demandées. Mais le maire pointe la difficulté de les faire respecter, faute de personnels suffisants. Il tempère :
« Economiser l’eau est une réalité incontournable. Après, les spécialistes dont je ne fais pas forcément partie, pensent que ce n’est pas vraiment là, avec les piscines privées, que les grosses déperditions se font. Mais il est vrai que tout le monde doit faire des efforts », souligne l’élu. Les piscines privées sont-elles stigmatisées ? « Oui, c’est probablement l’utilisation non essentielle de l’eau qui leur est reprochée, une utilisation non vitale, avance le président de la CLE. Mais ce n’est pas quelques dizaines de m3 dans chaque village qui vont changer la donne ».
Un sentiment partagé par de nombreux témoignages souhaitant majoritairement remettre les pendules à l’heure. Comme Dany qui « aimerait qu’on explique aux gens qui n’ont pas de piscine enterrée traditionnelle qu’on ne la remplit qu’une bonne fois pour toutes à la construction et qu’on ne la vide jamais, ce qui risquerait d’ailleurs d’abîmer voire déchirer le revêtement d’étanchéité (liner) », explique-t-il. Comme la majorité des témoignages recueillis, ils rappellent qu’une piscine ne se vide pas pour en changer l’eau. « Traitée en permanence, elle reste propre ».
« On ne vide jamais l’eau de la piscine »
Correctement couverte pour éviter l’évaporation l’été, une piscine ne consomme presque pas d’eau », assurent-ils. « Ce que confirme Christiane et bien d’autres : « J’ai rempli ma piscine quand je l’ai fait construire il y a dix ans. Depuis, l’été, je rajoute l’équivalent d’une baignoire (mais je n’ai pas de baignoire) et ma piscine fait le bonheur des abeilles, des chauves-souris et des nombreux oiseaux des alentours qui viennent s’y abreuver », confie-t-elle. Pour Ivan, la question n’a même aucun sens. « En début de saison, une piscine contient plus d’eau que nécessaire car elle a été alimentée par l’eau de pluie et qu’il n’y a pas eu d’évaporation du fait des températures basses de l’hiver. On doit plutôt en vider qu’en rajouter. La question se pose uniquement pour les piscines neuves (premier remplissage) ou les petites piscines en plastique ».
Des affirmations appuyées par la Joëlle Pulinx, déléguée générale de la FPP, qui rappelle « qu’il ne faut pas se tromper de combat » et que « les piscines privées ne doivent pas devenir le bouc émissaire » de la sécheresse. « Les trois millions de piscines privées en France ne représentent que 0,15 % de l’utilisation de l’eau au niveau national, soit environ 40 millions de m3 par an explique-t-elle à 20 Minutes. Pour avoir une idée de grandeur, les fuites d’eau sur le réseau français représentent un gaspillage de 1 milliard de m3 d’eau par an. Interdire l’usage de l’eau dans les piscines ne résoudra en rien le problème de sécheresse dans certaines régions françaises ». En revanche, relève la FPP, cela « condamnerait de nombreux emplois. Le secteur piscine représente près de 60.000 emplois directs et indirects », rappelle la déléguée générale de FPP.
Récupérateur d’eau enterré, système de filtration changé, bâches noires, les regards de la chasse au gaspi se portent ailleurs : sur les chasses d’eau notamment, « inutilement trop grandes » ainsi que « les fuites sur les réseaux d’eau potable du pays »… Un sujet de la gestion raisonnée et durable de l’eau sur lequel les professionnels du secteur travaillent depuis bien longtemps, tient à souligner Joëlle Pulinx. « L’utilisation de l’eau pour les piscines a ainsi été réduite de 45 % en 25 ans grâce notamment à de nouvelles techniques de filtration et de circulation de l’eau plus efficientes, mais aussi à des volumes de bassins plus petits, beaucoup moins profond ».
Reste le sentiment d’un « faux combat contre les propriétaires des piscines privées », un fait sociétal plus qu’écologique est-il expliqué, alors que certains Internautes y voient même des bienfaits pour la planète. « Ça évite les déplacements pour aller sur un point d’eau, un lac, la mer, les vacances en avion, et donc ça améliore le bilan carbone ». « On n’a pas besoin de climatisation », « ça permet souvent aux pompiers de puiser de l’eau lors de gros incendies », « c’est aussi bon pour le pouvoir d’achat », peut-on lire. La liste des avantages avancés par les uns et les autres est longue comme une piscine olympique.
Des avantages ? A condition que la piscine soit bien entretenue, souligne la FPP qui s’apprête à lancer une campagne d’information et de sensibilisation via une brochure. Objectif, avoir de bonnes pratiques afin d’économiser de l’eau avec au menu, le rappel de ne jamais vider sa piscine, de pratiquer l’hivernage sans baisser le niveau d’eau, d’utiliser une couverture ou d’un abri piscine pour limiter l’évaporation, de limiter les lavages de filtres au strict nécessaire… De la mobilisation, des initiatives, de la pédagogie, le prix à payer probablement pour nager sans se noyer dans la sécheresse.