Coups d’État au Sahel : “Critiquer la présence militaire française pour gagner une partie de l’opinion”
Le coup d’État au Niger marque un nouveau recul de la démocratie dans le Sahel. Le renversement du président Mohamed Bazoum par une junte avec à sa tête le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahmane Tchiani, semble faire écho aux cas du Mali et du Burkina Faso et d’autres. Analyse avec Rémi Carayol, journaliste indépendant, écrivain et membre du Comité éditorial du site Afrique XXI.
TV5MONDE : Le général nigérien Abdourahmane Tchiani vient de se présenter, le 28 juillet, comme le président du Comité National pour la sauvegarde de la Patrie (CNSP), la junte qui a annoncé avoir renversé le président Bazoum deux jours plus tôt ? Après les coups d’État au Sahel, au Mali et au Burkina Faso, selon vous, qu’est-ce que le cas du Niger a de remarquable ?
Rémi Carayol, membre du Comité éditorial du site d’informations Afrique XXI et auteur du « Mirage sahélien. La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane et après ? » La Découverte, 2023 : Au Mali et au Burkina Faso, les militaires putschistes avaient mis en avant la crise sécuritaire pour se justifier et le fait qu’ils n’avaient pas les moyens de combattre les groupes djihadistes. Au Niger, ils évoquent également le facteur sécuritaire sauf que la situation est beaucoup moins alarmante que dans les deux autres pays. Même si il y a des difficultés au Niger et les groupes djihadistes y sont toujours actifs, cet argument sécuritaire semble fragile et contestable car la situation est relativement contenue par rapport à ces deux voisins sahéliens.
Le Niger se targuait d’avoir réussi en 2021 une passation de pouvoir démocratique entre deux présidents élus. Deux ans après, comment en est-on arrivé là ?
Rémi Carayol : C’est difficile à expliquer. Il y avait des dissensions entre certains chefs militaires et le président Mohamed Bazoum. Ce dernier voulait s’émanciper de l’influence de structures des forces de sécurité et du général Tchiani, chef de la garde présidentielle, héritée de son prédécesseur Issoufou. Cela n’a pas plu à certains responsables militaires. A quel point cela a été préparé et par qui ? Il est encore tôt pour avoir quelques certitudes.
Ce que l’on sait est que le contexte nigérien était très fragile avec deux fronts : à l’ouest celui dans la région de Tillaberi avec les groupes djihadistes comme Al-Qaida et l’État islamique, à l’est avec Boko Haram. Il y a aussi toutes les fragilités avec la frontières avec la Libye et l’existence de nombreux trafics au Niger. Certains trafiquants relativement puissants étaient intégrés au système du PNDS, le parti du pouvoir.
Avec cela, il faut ajouter une économie faible, une pauvreté importante et un contexte international et régional où la présence militaire de la France mais aussi des Etats-Unis pouvait être de plus en plus mal perçues, à la fois par une partie de l’opinion publique et par une partie des militaires.
La présence militaire française est-elle un facteur prépondérant dans la série de putsch au Sahel ?
Rémi Carayol : Non. Au Mali et au Burkina Faso, le facteur majeur était l’incapacité à freiner l’avancée des groupes djihadistes. A cela, s’ajoutaient d’autres problèmatiques : par exemple au Mali, la corruption était décriée, les élections contestées, et au Burkina Faso, les promesses non tenues du dirigeant issu du premier coup d’Etat. Au Niger, il semble que ce soit d’autres raisons.
La présence militaire de la France est un facteur secondaire. En revanche, c’est un très bon levier pour mobiliser des foules et populariser un coup d’Etat. On l’a vu au Mali, au Burkina Faso et on le voit déjà apparaitre au Niger, il suffit de critiquer la présence militaire française pour gagner une partie de l’opinion publique. Cela relève de l’enjeu communicationnel de l’après coup d’Etat et n’explique pas les raisons qui poussent les militaires à prendre le pouvoir.
Reste que, au Mali, le fait que l’armée française agisse un peu comme en territoire conquis et parfois sans même l’aval des autorités maliennes, gênait une partie de l’armée, tout comme au Niger la place qu’occupait l’armée française dans ce pays depuis le départ de l’opération Barkhane du Mali.
Peut-on parler d’épidémie de coups d’Etat au Sahel ou plutôt d’un modèle démocratique malade en Afrique de l’Ouest ?
Rémi Carayol : Le modèle démocratique est malade, mais cela ne concerne pas que l’Afrique de l’Ouest, c’est une question mondiale qui se pose en Asie en Europe. Le modèle démocratique qui s’est imposé ces dernières décennies est fortement fragilisé, que ce soit par les tensions sociales mais aussi des dérives politiques. En l’Afrique de l’Ouest et au Sahel, où les Etats sont très fragiles, les militaires peuvent peut-être prendre plus facilement le pouvoir qu’ailleurs.
Mais le terme d’épidémie de coups d’Etat n’est pas à écarter totalement. En résister aux pressions internationales, de la Cédéao mais aussi de l’ONU et plus globalement des pays occidentaux, les Maliens ont démontré qu’il était possible de prendre le pouvoir par la force et de le conserver. Ce n’était pas le cas durant la décennie 2000-2010. Après un coup d’Etat, les militaires devaient rendre rapidement le pouvoir à des civils, via une transition civilo-militaire pour ensuite organiser des élections.
Avec le cas malien, ce modèle-là a évolué, une transition peut durer beaucoup plus longtemps. Cela a servi d’exemple en Guinée, au Burkina Faso et, à présent, peut-être au Niger. Si un coup d’état militaire semblait relever du passé il y a quelques années, il est devenu aujourd’hui banal vu le nombre de pays concernés, le Soudan, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, le Tchad et le Niger.
Tous ces pays africains ont été sous le joug de la colonisation française. Y a-t-il un lien à faire, une grille de lecture commune à ces coups d’Etat successifs ?
Rémi Carayol : Pour ce qui est du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la grille de lecture commune est surtout liée aux groupes djihadistes. Ils ont très sérieusement entamé la solidité des Etats et la vie en communauté. Ces sociétés fragilisées traversent des crises qui se manifestent notamment par ces coups d’Etat. Dans ces trois pays, c’est plus cela qui explique en partie d’innombrables tensions plutôt que le passé colonial de la France et une histoire qui remonte à des décennies.
Mais il ne faut pas minorer l’échec de la décolonisation des anciennes colonies françaises où la France a continué à jouer un jeu en grande partie négatif via des ingérences politiques. Cela explique en partie aussi la fragilité de certains de ces Etats.
Selon vous, les sociétés civiles de ces pays ont-elles en elles des ressources pour offrir une alternative aux putschs militaires ?
Rémi Carayol : Aujourd’hui, les sociétés civiles n’offrent pas une alternative. Par exemple au Mali, la société civile a été instrumentalisée. Ceux qui appuyaient les putschistes ont été mis en avant, financés, alors que ceux qui gardaient un cap démocratique ont été contraints à se taire, voire à s’exiler. On voit une même instrumentalisation au Burkina Faso où la société civile était plus puissante historiquement. Là aussi, les voix critiques sont condamnées à se taire. En Guinée, des collectifs qui avaient joué un rôle majeur dans la lutte contre le 3e mandat d’Alpha Condé se sont retrouvés réprimés par la junte au pouvoir.
Au début des années 2010, des sociétés civiles jouaient un rôle de premier plan dans la lutte pour le combat démocratique mais aussi pour l’implication en politique d’une nouvelle génération, comme Y en a marre au Sénégal, au Balai citoyen au Burkina Faso, Filimbi en RDC. Aujourd’hui, on a l’impression d’être dans le creux de la vague et que les sociétés civiles ont du mal à exister dans ces contextes où les militaires ont pris le pouvoir.
En cause, les voix critiques sont réprimées, et tous les acquis liés à la liberté d’expression, aux libertés publiques et au débat démocratique sont sapés. C’est vrai non seulement du fait des putschistes, mais aussi dans les régimes dits démocratiques. Par exemple dans le Niger de Mahamadou Issoufou, qui est souvent présenté comme un exemple démocratique parce qu’il a passé la main via des élections. Mais durant ses deux mandats, des voix critiques notamment de la société civile ont été emprisonnées, harcelées par la police, des manifestations ont été interdites, et tout cela crée un contexte qui permet en partie notamment aux militaires de s’imposer par les armes.