Libération du professeur Joël Aïvo: 115 universitaires du monde entier adressent une tribune à Patrice Talon
Dans une tribune publiée dans la presse ce mercredi, 115 signataires d’Afrique et d’Europe exhortent le Président Patrice Talon à faire preuve d’humanité en travaillant pour la libération du Professeur Joël AIVO et pour le rétablissement de ses droits.
Pour les 115 signataires, “aucune justification ne soutient le maintien en détention de Joël Aïvo, artisan e paix et de justice”. Ci-dessous l’intégralité de leur tribune adressée au président Patrice Talon.
Tribune pour la libération du professeur Joël Aïvo, universitaire de grande réputation
Le Professeur Fréderic Joël Aïvo est un Éminent constitutionnaliste. Agrégé de droit public et Professeur Titulaire du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES), il a été Doyen de la Faculté de droit et de science politique de l’Université d’Abomey-Calavi (Bénin) et Président de l’Association Béninoise de Droit Constitutionnel (ABDC). Il offre une bibliographie abondante, constituée de quelques ouvrages individuels et collectifs, un nombre impressionnant d’Articles et de Chroniques parus dans les Revues de droit constitutionnel les plus prestigieuses en Europe.
Son office universitaire a été au service de son pays, qu’il aime tant et auquel il a consacré une énergie vigoureuse et un dévouement incontestable. Aux côtés d’autres figures du droit constitutionnel béninois, il s’est progressivement imposé comme un des porte-drapeaux de la diffusion du modèle constitutionnel béninois à travers le monde.
Élu en janvier 2016 par ses pairs Doyen de la Faculté de droit et de science politique, Joël Aïvo s’est investi à la rénovation et la modernisation de la faculté. À la tête de l’Association Béninoise de Droit Constitutionnel qu’il a fondée et dirigée pendant plus de dix (10) ans, il a poursuivi son action au service de la démocratie en Afrique et offert à tous les acteurs du débat public (hommes et femmes politiques, juges, société civile, scientifiques) une plate-forme de dialogue et de co-construction des solutions aux difficultés générées par les processus de démocratisation des pays africains.
En tant qu’enseignant-chercheur, il a fait montre d’un dynamisme remarquable comme en témoignent ses états de service.
DÉFENSEUR DU MODÈLE DÉMOCRATIQUE DU BÉNIN
À l’étranger, le Professeur Joël Aïvo est reconnu comme un universitaire sérieux et un constitutionnaliste de grande réputation. Cette reconnaissance au-delà des frontières du Bénin lui a souvent valu d’être sollicité dans plusieurs pays pour partager sa connaissance du droit dans divers cercles de réflexion et de formation.
Il est un expert reconnu de la communauté internationale dont il fut, sur plusieurs théâtres d’opération, tantôt émissaire, tantôt consultant et bien souvent expert constitutionnel ou électoral. C’est autant sous l’enseigne de l’Organisation des Nations Unies (ONU), de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), d’International IDEA que d’autres organisations africaines comme l’Union Africaine (UA) et la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qu’il a cherché à établir la paix, la démocratie et l’État de droit. À travers ces missions, le Professeur Joël Aïvo a contribué à redorer l’image que le monde entier se faisait du Bénin. Il a pour ainsi dire, porté le fanion de la démocratie béninoise et la flamme de l’originalité de son modèle en Afrique.
Au Bénin, il a été Rapporteur général (en 2016) de la Commission Djogbenou chargé de faire des propositions en vue de la révision de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
C’est pour servir son pays à un niveau plus élevé que, sous la bannière du Front pour la Restauration de la Démocratie (FRD), le Professeur Joël Aïvo s’est porté candidat à la présidence de son pays avant d’être recalé par la règle de parrainage introduite par la révision constitutionnelle de novembre 2019. Il dénoncera la révision opportuniste de la Constitution prorogeant le mandat du Président de la République en exercice de cinquante jours, les lois électorales controversées, ainsi que le processus électoral dans son ensemble.
LE PROCÈS DE SON ENGAGEMENT POLITIQUE ET DE LA DÉMOCRATIE
Le 15 avril 2021, quelques jours après la tenue du scrutin présidentiel du 11 avril 2021 au Bénin et ses dénonciations, le Professeur de droit constitutionnel a été interpellé par la police alors même qu’il revenait de ses cours à l’Université d’Abomey-Calavi. Gardé à vue pendant vingt-quatre (24) heures dans les locaux de la Brigade économique et financière, il fut présenté le 16 avril au Procureur spécial de la Cour de Répression des Infractions Économiques et du Terrorisme (CRIET). Au terme d’une brève audience, le Procureur spécial de cette juridiction controversée décerna un mandat de dépôt contre le Professeur Joël Aïvo, ordonnant sa détention provisoire pour trois (3) mois en attendant sa comparution le 15 juillet 2021 devant le Juge des flagrants délits.
Le 16 avril 2021, le Procureur spécial de la CRIET engagea des poursuites contre le Doyen Joël Aïvo l’inculpant des faits de « complot contre l’autorité de l’État » et de « blanchiment de capitaux ». Le Procureur spécial décida surtout de le poursuivre pour flagrant délit, c’est-à-dire pour des infractions supposées être en train d’être commises ou venant d’être commises au moment de son arrestation. L’équipe de défense du Professeur Frédéric Joël Aïvo a immédiatement relevé que la CRIET avait violé les articles 72 et 402 du code de procédure pénale du Bénin en ordonnant son placement en détention provisoire pour quatre-vingt-dix (90) jours au lieu des soixante-douze (72) heures ouvrables imposées par le législateur béninois, en matière de flagrant délit.
À toutes les phases de la procédure et même au procès du 6 décembre 2021, le Doyen Joël Aïvo a toujours clamé vigoureusement son innocence. Il a constamment rejeté les accusations du Procureur spécial et réclamé à la CRIET les preuves de ses allégations.
Au terme d’un procès de moins de quatorze (14) heures d’horloge, sans le moindre élément matériel, sans aucun témoin à charge, sans indices concordants, en l’absence de toute preuve, le Professeur Joël Aïvo a quand même été condamné à dix (10) ans de réclusion criminelle.
Ses avocats ont toujours dénoncé un procès politique et expéditif conduit au pas de charge et ostensiblement à charge pour parvenir, quoi qu’il en soit, à sa culpabilité et à sa condamnation. Le Front pour la Restauration de la Démocratie (FRD), la plus grande coalition de l’opposition béninoise qui l’a investi candidat à l’élection présidentielle d’avril 2021, a aussi dénoncé une condamnation politique et réclamé la libération de son candidat. Plusieurs autres organisations au Bénin comme à l’étranger ont apporté leur soutien au Professeur Joël Aïvo dont l’engagement pour la démocratie en Afrique et l’investissement au service des droits de l’homme sont incontestables. Des démocraties occidentales, dont les États-Unis et la France, ont clairement plaidé en faveur de la libération de l’universitaire dont le discours et les actions sont sans équivoques en faveur de la démocratie et de l’État de droit.
Force est de constater plus de deux (02) ans après son arrestation arbitraire que le Professeur Aïvo demeure incarcéré à la prison civile de Cotonou dont il est souvent fait mention des conditions de détention épouvantables. La situation de Joël Aïvo interpelle la conscience de tous et particulièrement celle de ses collègues et de tous ceux qui connaissent l’homme, ses convictions démocratiques et son engagement pacifique.
Sa situation actuelle interpelle aussi les organismes publics, les organisations non gouvernementales, les organisations régionales et internationales qui ont eu recours à son expertise pour mettre en œuvre leurs programmes en faveur de la paix, de la démocratie et des élections libres.
Aucune justification ne soutient le maintien en détention de cet artisan de paix et de justice.
Au Bénin, le Professeur Joël Aïvo a de tout temps apporté une contribution intellectuelle aux efforts des gouvernements successifs de son pays pour consolider le processus démocratique en cours. C’est ainsi qu’il a accepté, à la demande de Boni Yayi, Président de la République (2006-2016) et de Patrice Talon, Président de la République en fonction depuis 2016, de siéger dans les commissions constitutionnelles mises en place par les deux chefs d’État en vue d’engager la réflexion sur les travaux confortatifs du régime démocratique hérité de la Conférence nationale en 1990.
RENDRE À LA COLOMBE SES AILES
Depuis qu’il a été privé arbitrairement de liberté, la Communauté universitaire, ses collègues, ses étudiants et la société politique tout entière, sont privés de l’un de leurs plus brillants esprits.
À ce jour, le Professeur éprouve des difficultés à poursuivre ses activités et à exercer son métier pour le grand bien de ses étudiants et de son pays.
Néanmoins, malgré une détention particulièrement rude, il est parvenu à s’acquitter de son devoir de directeur de thèse en faisant soutenir au Bénin, au Sénégal et en France, plusieurs des thèses qu’il dirigeait avant sa détention. Son arrestation fait peser d’indicibles souffrances sur son épouse et ses enfants en bas âge.
Nous, signataires de la présente Tribune, sans intentions ni velléités d’ingérence dans les affaires intérieures du Bénin, exhortons le Gouvernement béninois et plus particulièrement le Président de la République du Bénin, Monsieur Patrice Talon – qui, à l’orée de son mandat en 2016, a affiché des convictions démocratiques très fortes et sa volonté de chercher le meilleur pour le Bénin – à faire preuve d’humanité en faisant en sorte que tout soit mis en œuvre pour la libération du Professeur Joël Aïvo qui, dans son domaine de compétences a beaucoup œuvré pour son pays et a encore tant à lui offrir.
Nous appelons les autorités béninoises à œuvrer au rétablissement du Professeur Joël Aïvo dans ses droits conformément aux conventions internationales dont le Bénin est signataire et aux valeurs de justice et de consensus inaugurées par les founding fathers à la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation de février 1990.
Transcriptions TRIOMPHE MAG